Recherche pour :

La communication politique au Sénégal à l’ère du digital : O. Sonko, le phénomène 2.0 ?

Cet article est une réponse aux toutologues, ces « experts » tous azimuts qui se présentent comme connaisseurs dans tous les domaines, bien que ça ne soit pas le cas et qui continuent de critiquer sans fondement le modèle de communication « Sonko 2.0 ». Ils envahissent le champ des SIC, notamment de la communication après chaque actualité et la platitude de leurs arguments devrait alerter tous les professionnels concernés.

La page Facebook de Ousmane Sonko a été créée le 18 mars 2014 avec comme nom d’origine « Touches Pas à Ma Corniche », Deux (02) ans plus tard, le nom de la page sera remplacé́ par « Djoloff Djoloff Bii » (16 mars 2016) avant d’être officiellement certifiée sous le nom de Ousmane Sonko lors de la 56e fête de l’Indépendance du Sénégal, le 04 avril 2016.  La page est également rattachée à Instagram, certifiée sous le nom de Ousmane Sonko. Elle est catégorisée « Personnalité politique » et contient un badge bleu qui confirme son approbation. La page de Ousmane Sonko occupe la première place des hommes politiques les plus suivis au Sénégal avec plus de 1 100 000 followers. Elle est également gérée par six (06) administrateurs, les trois (03) se positionnent au Sénégal et les autres sont répartis à l’extérieur, l’un est aux USA et les deux autres au Canada. Les posts publiés ne sont pas sponsorisés malgré que son audience augmente de jour en jour.

Depuis l’avènement du web 2.0 et des réseaux sociaux numériques, la politique a subi un chamboulement. Les hommes politiques adoptent de nouvelles approches pour informer et communiquer sur internet afin de conserver la relation avec leurs publics et les citoyens. Étant aujourd’hui de nouveaux moyens de dire et de faire, les réseaux sociaux, particulièrement Facebook reste incontournable dans le domaine de la communication de proximité auprès des citoyens. La plupart des hommes politiques utilisent ce réseau social pour avoir de la visibilité, communiquer avec la population, faire face à la concurrence qui est aujourd’hui très rude dans la politique. Aujourd’hui, l’usage du réseau social Facebook fait désormais partie intégrante de la stratégie de communication des hommes politiques sénégalais. Aux États-Unis, suite à la réussite de la campagne du Président Obama en 2008, les médias internationaux avaient déjà  alerté sur l’importance de cette nouvelle plateforme qui reste incontournable dans la sphère politique. À noter que depuis 2012, il y a eu la présence de tous les candidats sur Facebook lors des élections présidentielles sénégalaises et aujourd’hui, chaque activité politique et chaque campagne, les hommes politiques intègrent ce réseau social Facebook dans leur stratégie de communication.

Sur le digital, l’heure n’est plus à la phraséologie incantatoire comme nous avons l’habitude de le voir dans l’espace public sénégalais. Les héritiers du pouvoir actuel doivent leur réussite à la parfaite compréhension de cette nouvelle façon de dire et de convaincre sur Internet. En effet, l’usage fréquent des concepts mobilisateurs sur les « lives » et autres publications révèle le choix d’un discours orienté sur le pathos. La contagion émotionnelle brouille en réalité notre faculté critique. En suscitant la peur et l’inquiétude, les sénégalais se sont majoritairement préoccupés à suivre les épisodes Sonko-Macky jusqu’à s’approprier du « Projet ». De plus, les réseaux sociaux et les algorithmes sont programmés pour ces genres de contenus et d’activités facilitant ainsi la propagande politique. D’ailleurs, le premier constat non négligeable dont devrait s’inspirer désormais tout acteur politique est le fait d’avoir le contrôle dans ses prises de parole sur les plateformes digitales. Autrement dit, pour être écouté et réussir à mobiliser sur le digital, il faudra adapter son discours et ses actions selon les contextes, les réalités socio-politiques et économiques de son époque. De surcroît, les stratégies et l’organisation mobilisées (riposte-party) par le parti PASTEF après chaque publication et durant les directs de ses leaders prouvent à suffisance la pertinence du modèle. Enfin, l’usage du réseau social pour propager son message du cyberespace à l’espace public a réellement pris son envol au Sénégal. Personne n’a mieux réussi une telle performance avec une telle originalité que Ousmane Sonko. Pour rappel, l’algorithme du réseau social Facebook peut influencer et impacter sur la visibilité d’une personnalité politique de plusieurs manières. Il privilégie souvent le contenu qui génère beaucoup d’engagement, comme les likes, les commentaires et les partages. Ainsi, plus une personnalité politique suscite l’interaction de ses followers, plus son contenu est susceptible d’être amplifié dans le fil d’actualité des utilisateurs. De plus, l’algorithme peut également favoriser la visibilité des contenus qui correspondent aux préférences et aux centres d’intérêts des utilisateurs, ce qui peut renforcer ou affaiblir la portée d’une personnalité politique en fonction de son attrait pour différentes audiences.

                                                             Ousmane Sonko n’était-il pas plus un influenceur qu’un leader politique ?

Ce modèle semble se ressourcer parfois de la spontanéité, parfois de stratégies anciennes bien structurées puis adaptées à son époque. De prime abord, cette première interrogation pourrait être considérée comme provocatrice par certains, mais elle est au contraire légitime au regard du modèle communicationnel et discursif adoptés par ce dernier durant dix longues années d’opposition contre le régime de Macky Sall. Effectivement, le camp de Ousmane Sonko a compris qu’il fallait être influenceur sur le digital pour impacter plus facilement sa cible. Historiquement le leader politique s’adonne à des techniques de propagande en utilisant les médias de manière générale et mise plus sur les leaders d’opinions pour espérer valider une partie de sa stratégie. Les travaux de Lazarsfeld et Elihu Katz illustrent parfaitement cette forme de communication à deux étapes dans le livre Influence Personnelle paru en 1955. Or sur les réseaux sociaux numériques, les influenceurs jouent ce rôle. Ils vendent aisément tous types de projets et permettent aux entreprises comme aux personnalités politiques d’influencer les comportements. Sur le web, Ousmane Sonko s’est intelligemment présenté comme l’influenceur idéal pour vendre une idéologie politique. A ce jour, il y’a 10,79 millions d’utilisateurs d’Internet au Sénégal au début de l’année 2024, alors que la pénétration d’Internet s’élève à + 60% et les jeunes occupent une très grande place. Notons qu’il y a plus de 3,71 millions d’utilisateurs actifs sur les réseaux sociaux au Sénégal en 2024 et le réseau social Facebook reste la plateforme la plus utilisée au Sénégal avec plus 3,35 millions d’utilisateurs actifs. A cet effet, il est quasi-impossible aujourd’hui pour un homme politique d’ignorer le réseau social Facebook du fait de la communication directe qu’il permet avec les citoyens. Même si nous constatons un désintéressement de la part de certains jeunes sénégalais sur les questions politiques, il faudra noter qu’avec Ousmane Sonko, la tendance s’est un peu renversée, car les jeunes s’intéressent de plus en plus à son discours politique et à son idéologie. La réalité aujourd’hui est que certains jeunes notamment ceux de la diaspora voient en Sonko la seule figure de l’opposition qui est en mesure de rompre avec les pratiques d’une classe politique qui, sans cesse, se renie par le phénomène de la « transhumance » et par le montage de coalitions qui rendent floues les frontières entre socialisme et libéralisme.

Lassana  Ndiaye  &  Bilal Doucouré

Spécialistes en communication et technologies numériques 

Consultants en communication politique  & fondateurs D’Expertise’Com

Vous pouvez consulter l'article de M. Lassana Ndiaye, DG Expertise'Com sur la situation politique au Sénégal du 03/02/2024

Vous pouvez aussi voir l’article sur son site officiel : www.lassana-ndiaye.sn

La délicate succession

La question de la succession au pouvoir gagne en complexité au Sénégal suite à l’annulation du processus électoral ce samedi 03 février 2024 par le Président de la République. Tout d’abord, mon statut ne me permet pas de faire une analyse politique sur la situation actuelle mais plutôt un décryptage sur ce Message à la Nation en tant que professionnel de la communication. Ces moments historiques offrent chaque professionnel selon son domaine d’activité d’en faire une étude tout en sachant que les circonstances actuelles auront forcément des conséquences sur le déroulement des activités et l’avenir de tout un chacun. Toutefois, si je devais analyser politiquement l’événement d’aujourd’hui, j’essaierai sûrement de répondre dans une longue analyse à la thèse suivante : « L’opposition sénégalaise n’est-elle pas trop partisane à tel enseigne que toutes les armes nécessaires pour que le pouvoir déroule son programme politique soient facilement mises à sa disposition ? » Les nombreux analystes politiques sont en train d’éclairer la lanterne aux sénégalais sur ce sujet.

Par contre, sur le plan de la communication, le Président de la République a aujourd’hui beaucoup usé de la diversion pour incruster le  film du « report des élections » au sein de la tactique de l’annulation « 52 – 42 ». Un film dans le film qui rend jusque-lá son départ incertain dans les plus brefs délais. En communication politique, nous appelons cela une mise en abysme.

Mise en abyme ou abîme ? Non, parlons plutôt à l’ancienne car une mise en abysme serait plus adaptée par rapport à la situation actuelle. En effet, le Sénégal a fait un grand bond en arrière ce samedi 03 février 2024. Un flash-back, une révision des  stratégies politiques ancestrales qui met à l’arrêt un peuple, des espoirs, des projets. Etant donné que la préoccupation majeure des sénégalais est l’image perçue sur un pays réputé démocratique comme le nôtre, le choix du discours du Président et l’analyse que nous pouvons faire des expressions méta-discursives et les écarts sur la version wolof, montrent que cette image est plutôt orientée en dehors de son camp. Ce qui à mon avis est subtile et justifierai dans les prochaines heures la faible teneur des réactions dans l’espace public, autrement dit sans conséquences, sans troubles et manifestations publiques vives. Même si je reste sceptique compte tenu de la progression des événements et le fait historique de la décision. Une telle analyse devrait justement permettre à l’éveil des consciences mais surtout rappeler le caractère incontournable de la communication dans le domaine politique. Il est de notre rôle de rappeler mais aussi de pousser les responsables à une meilleure considération de ce volet dans leurs actions.  D’abord, la reconnaissance de la dimension communication éviterait plusieurs erreurs élémentaires aux acteurs (politiques, juridiques, médiatiques…) qui par exemple ont offert au président le pouvoir d’en user. Tous les secteurs clés sont aujourd’hui dans l’obligation d’intégrer cette dimension de la communication dans les processus. Il faut d’ailleurs renforcer cette culture pour accompagner l’élan de changement observé principalement chez une certaine jeunesse dite « éveillée ». Si le « wokisme sénégalais » marqué par un engagement révolutionnaire de cette même jeunesse subsiste difficilement c’est surtout parce que la majeure partie des acteurs clés ne maitrisent pas les techniques de communication et argumentaires nécessaires pour une meilleure exécution. 

Présumée corruption, bi-nationalité, faits graves et abrogation ont suffit pour redistribuer les cartes mais surtout créer le flou sur l’avenir politique de certains acteurs. C’est en ce sens que la théorie de l’agenda caché trouve toute sa pertinence et rappelle désormais à l’ensemble des acteurs qu’en communication politique, il y a toujours des « non-dits » qui devraient obliger les principaux protagonistes à une communication mesurée, filtrée, sélectionnée et des stratégies de communication sérieuses qui suivent un calendrier. Un programme d’action qui se doit d’être caché et dont son activation pourrait être le momentum est toujours une étape indispensable pour le professionnel de la communication et son équipe de le prévoir.  Dans le domaine de la politique, le momentum est l’élan qui pousse un candidat vers la victoire. Cependant si l’adversaire se retrouve devant des camps vides, il ne doit simplement que frapper de façon adroite pour s’assurer de la succession  de la couronne mais qu’il s’attarde à d’autres sujets en dehors des règles de jeu, il peut toujours être rattrapé par ce fameux « je ».

Lire le fond des deux articles 42 et 52 de la Constitution, nous permet de mieux comprendre les techniques de communication utilisés dans ce film du « report des élections » au sein de la tactique de l’annulation « 52 – 42 ».

Article 42

« Le Président de la République est le gardien de la Constitution. Il est le premier Protecteur des Arts et des Lettres du Sénégal. Il incarne l’unité nationale. Il est le garant du fonctionnement régulier des institutions, de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire. »

Article 52

« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est interrompu, le Président de la République dispose de pouvoirs exceptionnels. Il peut, après en avoir informé la Nation par un message, prendre toute mesure tendant à rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions et à assurer la sauvegarde de la Nation. Il ne peut, en vertu des pouvoirs exceptionnels, procéder à une révision constitutionnelle. 

 

Lassana NDIAYE

Publié le samedi 03 février 2024